La décennie de mes vingt à trente ans a été le théâtre d’une programmation de relations courtes, de quelques semaines à quelques mois. Je me lassais à toute biture, ou c’était eux. Je m’amourachais à m’en rouler par terre alors qu’ils s’en tapaient de moi et s’en tapaient d’autres ou bien ils s’accrochaient tandis que je prenais peur et mes jambes à mon cou. Il faut aussi dire que je vivais beaucoup dans ma tête, et qu’entre ces relations chétives et éphémères, je pouvais fantasmer sur un gars pendant des lustres sans rien n’en révéler a personne - surtout pas à lui. Mon monde intérieur remplaçait le réel au pied levé et cela me suffisait. Jusque tard dans ma vie d’adulte, je n’avais donc aucune idée de ce qu’était ou impliquait une relation longue et engageante. J’ignorais tout de son contenu, sa navigation et sa conclusion. Tant et si bien que j’imaginais le point final comme nécessairement cataclysmique. Une tromperie. Une terrible humiliation, Une violence abrupte. Un évènement-dynamite qui laisse les anciens amoureux éclopés, les membres en lambeaux.
C’est faux dans la plupart des cas. La fin du couple est une agonie lente et imperceptible si l’on se focalise sur une unité de temps courte. La fin du couple c’est la somme d’accrocs, de touches de médiocrité, de pixels de manque d’empathie, de fatigue accumulée, un enchevêtrement de frustrations et d’incompréhensions qui prend forme sur des années. On le forge à quatre mains, de l’argile de nos passions tristes, le monstre qui finira par nous dévorer. On l’érige ensemble, le mur de notre finalité, étalant le mortier de nos désenchantements pour en souder les briques. Dans son enquête « La fin de l’amour », la sociologue Eva Illouz établit la structure narrative du divorce, et la forme de récit la plus répandue est celle de l’accumulation. L’érosion par les petites choses du quotidien, les preuves accumulées, tels des apothicaires, que, décidément, « cela ne fonctionne pas ».
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