40 ans et posée

Pas exactement.

Impudique
4 min ⋅ 01/04/2024

Avertissement : Si je trace le chemin de mon intimité à vos boîtes mails, c’est par motifs purement égoïstes. L’année qui vient de s’écouler a été la plus difficile de mon existence et il me faut un exutoire. Je tangue sur une mer brutale d’émotions et la seule façon de ne pas boire à la grande tasse est d’écrire, les mots comme autant de bouées et balises. Je vous parle donc de moi, mais vous pourriez y déceler des segments de vous.


En crise, ever after

J’aurai quarante ans dans deux mois. La décennie qui vient de s’écouler équivaut peu ou prou à la pulvérisation de tous mes idéaux. Ce que je me présentais comme modèle parfait et horizon à atteindre fût en grande partie un leurre. Au mieux de l’enjolivement, au pire une chimère absolue. Couple, maternité, travail. La sainte trinité dont l’équilibre une fois trouvé est promesse de satisfaction longue durée. Conneries finies.

Prenez-moi, adolescente. Les trentenaires me paraissaient installés. Je n’avais pas hâte d’arriver à leur stade de vie, ils étaient vieux et inintéressants depuis le seuil de mes 16 ans, mais je me projetais aisément. Moi, à 30 ans, je serai mariée, j’aurai trois enfants, je vivrai dans une maison avec ma famille et un chien, un berger allemand ou un Terre-neuve. Je serai heureuse ainsi, je serai posée. Je prenais les turpitudes de l’adolescence puis de la vingtaine comme une large salle de classe, j’apprenais, je testais, et si je m’écorchais les genoux et le cœur sur les gravats de mes expériences, ça n’était pas bien grave puisque je finirai par trouver l’endroit où je serai posée. Lorsque j’enchainais les relations amoureuses plus ou moins foireuses, je me disais comme un mantra que, quand je rencontrerai le bon, tout ferait subitement sens. Qu’importais les souffrances, j’encaissais, puisqu’au bout il y aurait un havre, un équilibre, enfin. C’est très proche de la pensée magique ou religieuse et ça vous laisse le plus souvent désabusé.

Je suivais la carotte de certains idéaux-type. Ces foutus mirages fabriqués pour nous, de l’extérieur, qui ne naissent pas de notre subjectivité et ont souvent peu à voir avec nos désirs. Des conditionnements déguisés en aspirations personnelles. Comme la masse des petites filles coulée au moule du patriarcat, je pensais fermement que d’autres que moi alloueraient du sens à ma vie. Un homme, puis un enfant. Le couple et la maternité comme remède à l’absurdité de l’existence. Je ne dis pas que l’amour romantique, le mariage ou la maternité soient dénués de sens. Mais cela reste variable et surtout, il faut d’abord pouvoir le trouver en soi. Ce que je regrette c’est la croyance inoculée que le package mariage/parentalité nous amarrerait à la vie comme un navire à son quai. Les mythologies maternelles et amoureuses sont des fictions visant à reproduire le social. Cela ne veut pas dire que l’on ne trouve pas, dans ces statuts, des éclairs de félicité, voire des temps plus soutenus de bonheur et de plénitude mais cela n’a rien à voir avec la paix intérieure. Happily ever after (Heureux à jamais) ? Non. En crise ever after. Gérer de multiples crises, en parallèle, tout le temps, pour toujours.

Et ce n’est pas un mal. Le problème n’est pas la crise, l’instabilité et les souffrances qui en découlent (souffrir est la base de la condition humaine), le problème c’est de faire croire que les statuts de mère, d’épouse ou autre, seraient une fin en soi, un point d’arrivée, une résolution, alors que c’est précisément le point de départ de crises existentielles sans cesse renouvelées.

Clara et la souffrance Nietzschéenne

Il y a quelques jours, je prenais un café à Vincennes avec mon amie Clara. Au moment de me parler d’un épisode sensible qu’elle était en train de vivre, elle me dit emportée : « Ce n’est pas agréable d’avoir mal mais je ne comprends pas ce truc de vouloir éviter de souffrir, de tout molletonner, la souffrance c’est la vie, ça ne s’évite pas, autant éviter de vivre à ce prix-là ». De là elle est partie dans une envolée sur Nietzsche et son approche de la douleur en faisant de grands mouvements tandis que je l’observais religieusement, assise devant son grand feu. Naviguer le si petit bout d’espace et le temps dont nous disposons c’est prendre le risque de s’abîmer, et c’est tant mieux.

Le chemin qui mène à notre propre ciel passe toujours par la volupté de notre propre enfer

Nietzche

Quand j’ai commencé à m’exprimer publiquement sur mon vécu de mère, j’écrivais que l’expérience radicale de la maternité m’avait mené aux confins de mes abysses et de mes cieux. Que la maternité, c’est le sublime et l’aliénation. Pas l’un ou l’autre. Pas l’un après l’autre. Les deux superposés. Nietzschéenne sans le savoir. Mais si la souffrance est inévitable, je crois que l’on peut en réduire le caractère contondant en ne nous construisant pas sur le mensonge du couple, de la maternité ou tout autre fait social comme porte d’entrée vers une finitude ou un bonheur immaculé. La seule constante, c’est le bordel.

Deuil-célébration

Je vous invite donc aux funérailles de mes idéaux (et des vôtres ?), je piétine l’idée qu’avancer en âge c’est progresser vers plus de raison et d’apaisement mais bien que le temps ne fait que démultiplier le chaos intérieur. Plus de vie, plus de troubles. Je me souviens observer les adultes étant plus jeune et de penser qu’ils géraient. Vue du dehors, ils semblaient tout savoir, tout contrôler. L’arnaque. Plus ça va, moins on sait. Puis plus ca va, plus tout contusionne. Ce ne sont pas les premières fois qui font le plus mal. Le premier chagrin d’amour, le premier départ. Plus on accumule les expériences, plus on est sensible. La première fois que l’on sent son cœur se disloquer dans sa poitrine, c’est nouveau, c’est intense, mais les fois d’après convoquent toutes celles qui précèdent et composent une souffrance à épaisseurs multiples, kaléidoscopique, d’une force de frappe sans nom.

Mais n’avions-nous pas dit que nous étions Nietzschéens ici ? Alors me voici, prête à embrasser les affres et tout le reste tant que je me déleste des idéaux en trompe l’oeil. J’invente la suite, avec moins de promesses et de surenchères, mais au moins, cela m’appartiendra.


Merci d’avoir été les premiers témoins de la naissance d’Impudique. Chaque deux semaines, je vous embarque avec moi explorer des thématiques liant mon féminisme et mon parcours personnel.

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Impudique

Par Illana Weizman