Féminisme et confidences

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Par Illana Weizman
29 avr. · 5 mn à lire
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À qui profite le sacrifice maternel ?

Entre la mère et l'enfant, il ne doit en rester qu'un.

Prenez n’importe quel thriller ou roman d’investigation, la première question à se poser afin d’élucider l’enquête est : « à qui profite le crime ». Qui, le forfait accompli, en tirera parti ? Qui, rictus aux lèvres, viendra se repaitre des restes de la victime gisant sur l’autel ? Dans notre cas, à qui profite le sacrifice des mères, leur abnégation, leur labeur et leur mort symbolique à la tâche ? Pas à elles à l’évidence. À Leurs enfants possiblement ?  Cela correspondrait à la fable maternelle qui voudrait que nous nous éteignions une fois l’enfant venu, et que chaque particule de lumière orbitant dans nos espaces lui revienne. L’idée que, mères martyres, nous interrompions notre élévation au profit de la leur. Pourtant, notre effacement ne leur bénéficie pas non plus (j’y reviens en dernière partie de cette newsletter). Il y a un bénéficiaire unique au sacrifice des mères, c’est la domination masculine. La divinité patriarcale requiert moultes offrandes, continuellement. Au nom de son culte, on met a mort, allégoriquement, tout un groupe social.

La souffrance comme fondation de l’identité féminine

Ployer face aux vents de l’injonction au sacrifice maternel n’advient pas du jour au lendemain. Il a fallu nous préparer telles des combattantes, boxeuses haletantes au coin du ring entre deux rounds, nous conditionner à la souffrance et à la contenance de celle-ci depuis tout jeunes. En CM2, sur le chemin du gymnase Lecuirot, rangés par deux sur un rang de plusieurs mètres, Céline, main dans la main avec Inès, nous gratifie de son récit de premières règles. Je n’ai aucune idée de ce qu’elle raconte - les publicités de serviettes hygiéniques absorbant du liquide bleu ne m’ont pas mises sur la voie - mais je me souviens distinctement d’une phrase : « Ça fait super mal, j’ai pleuré au lit toute la journée hier, mais ma mère m’a dit que c’était normal ». Au collège, Sarah, ma meilleure amie, vomissait, se tordait en tous sens voire s’évanouissait à chacun de ses cycles. On lui prescrivait du Spasfon et ne faisait pas plus de cas de son calvaire. Pourtant, il n’est jamais normal d’avoir mal. L’entourage, le milieu médical, tous doivent chercher à calmer ces douleurs. Combien de mes camarades suppliciées mensuellement étaient atteintes d’endométriose sans le savoir ? Combien d’entre elles ont été désignées comme « chochottes », « douillettes », « faisant du cinéma » ou « leur intéressante » alors qu’elles subissaient des douleurs bien réelles ?

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